La lueur effroyable qui éclaire le monde, peine à franchir la barre du temps. Elle produit un clair-obscur qui ouvre à l’imagination, le champ de l’interprétation. Le monde est interprété. Mieux, nous sommes si bien dressés à l’exercice que cette interprétation nous paraît être le monde. En développant la méthode généalogique, Friedrich Nietzsche a poussé la lecture au niveau d’un art, est parvennu à échapper à la fatale gravité et à clair-voir. Cette même méthode a été utilisée par René Girard dans « La violence et le sacré ».
Ainsi la morale ne provient pas des valeurs indissociables du bien des sociétés humaines, elle a été fabriquée par les esclaves en réaction aux valeurs des maîtres. Et comme les esclaves ont finalement vaincu les maîtres, ceux-ci ont été oubliés du moins en tant que maîtres, et seule est restée la morale.
La justice en est une illustration. Le châtiment, la punition, ne visent pas à compléter un dressage à la pratique de la morale, mais découlent du concept de dette vis à vis d’un dommage causé. Si l’on considère qu’ordonner un châtiment revient aussi à autoriser le plaisir sadique de faire souffrir l’autre, cela peut constituer un mode de remboursement de la dette. La vengeance entre tout à fait dans cette catégorie.
Voilà le ressort du monde brièvement exposé : la volonté de puissance. L’histoire des hommes se déroule à mesure des fluctuations des rapports entre maîtres et esclaves. Cependant, l’idéal ascétique qui a émergé des valeurs des esclaves avec le ressentiment et la mauvaise conscience est dirigé vers le néant. Grâce au génie du christianisme, il a vaincu.
Cette volonté de néant doit s’accomplir jusqu’au bout du bout, afin que survienne l’éternel retour qui, grâce à la transmutation, va, comme à l’origine, restaurer les puissants, les surhommes qui redeviendront les maîtres.
Pour Friedrich Nietzsche, la volonté de puissance est la force de la vie, elle engendre l’abondance et la luxuriance. Il critique Darwin car il trouve la théorie de la sélection naturelle basée sur le manque, les entraves et les contraintes. De même il critique l’ascèse, la religion, la science positiviste comme mensongers, castrateurs de l’instinct et de la force de la vie.
Car celle-ci n’a nul besoin de vérité, ni de foi, c’est une force dionysiaque se suffisant à elle-même.