Ce ne fut pas exactement une visite, plutôt une inspection car je cherchais de la salive, de la sueur, du sang, du sperme. J’avais regardé dans les recoins, sous les tables, les chaises, les bancs, rien ! Rien de rien ! Une propreté exemplaire. Le Marché de la Poésie avait l’ambiance bon enfant d’une réunion de vieux amis de province qui se retrouvent chaque année à Paris. Pareil à un camping où les mêmes vacanciers hétéroclites se reconnaissent, occupent tous les ans le même emplacement, se réjouissent de réaliser les mêmes activités.

Le Marché, comme disent certains, faisant disparaître le mot Poésie, n’est pas un Marché du temple qu’un Jésus improbable devrait détruire un jour. Il a ses étoiles, des virtuoses du mots, capables d’aller dénicher, oser des juxtapositions inattendues, à la manière des chefs cuisiniers qui composent les saveurs. Ils jouent de l’oxymore avec un vocabulaire poétique spécifique qu’ils ont construit au cours du temps et qui s’est affirmé comme celui de l’art poétique. Ils évoquent les tragédies personnelles, ruptures amoureuses, pertes d’un être cher. On les reconnaît à leurs prix. A côté des étoiles, Il y a le coup de cœur qui ne tient compte de rien d’autre que de soi, toujours inexplicable. Ce Marché est celui des auteurs. Ils cherchent à rencontrer un nouvel éditeur ou bien l’équipe d’une revue qui pourra, l’année suivante, accueillir leurs textes.

Pourtant le Marché de la Poésie n’est pas un Marché d’auteurs, mais d’éditeurs. C’est la présentation des projets éditoriaux de l’année, des objets livres qui vont séduire le bibliophile qui arpente les allées du Marché. Et il y a des réussites, le mariage entre un illustrateur et quelques auteurs qui rien, sinon un projet éditorial, n’aurait rassemblé et qui ont joué, à plusieurs mains, au jeu de la virtuosité. Ce sont les éditeurs qui paient la Marché car certains y réalisent la plus grosse part de leur chiffre d’affaire de l’année. Le Marché de la Poésie est un Mercato.

Et la poésie dans tout cela ? Certains auteurs persistent à brandir la question. Est-elle un genre littéraire, une forme avec ses canons et ses règles ? Est-elle une magie qui dépasserait le vers ou la prose et qui surgirait comme on l’a vue surgir de certains textes anciens ? Que s’est-il passé ? Pourquoi l’idée de poésie ne s’impose-t-elle pas naturellement comme par le passé ? Hé bien, par le passé, au XIXème, au XXème, les poètes ont toujours fait partie de l’avant garde artistique. Depuis les années 60, si j’étais égocentrique je dirais depuis ma naissance, ce n’est plus le cas. Ce sont des virtuoses interprètes de partitions classiques, l’art est parti ailleurs, il a fui la France inhospitalière pour les casseurs d’académisme. En France, on n’aime plus les casseurs, on a le droit de contester à condition de demeurer à l’intérieur des bornes, au Marché de la Poésie aussi.

Alors, je n’ai pas trouvé, dans ce Marché, la moindre trace de sperme, de sang, de merde, de sueur, juste quelques poils de barbe. Pourtant ailleurs, la poésie vit au rythme de l’avant garde artistique. Prenez Kat Georges et Louis Carlaftes. Ils parcourent le monde et organisent des événements qui exhalent les humeurs, la frayeur de vivre comme la jouissance, les tragédies des hommes des cinq continents. Ils sont à New York et éditent la revue maintenant. Et ils ne sont qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.

Est-ce l’expression de l’exception française ?

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.