En position de lecture, je suis verticalement assis sur le rebord d’une chaise qui repousse ma chute imminente et rapproche ma gorge de l’air frais que je sens circuler, en toute liberté, de haut en bas et de bas en haut. Je suis comme un drap d’esprit neuf offert aux vents de la lecture.

J’ai roulé et roulé mes yeux à l’intérieur des pages, cheveux aux vents, dans une décapotable rutilante, intérieur poésie. Les lettres donnaient un mimodrame qui m’a fallu d’abord déchiffrer pour parvenir aux premières illuminations de l’aube.

Pré-danse joue une histoire de la Danse. Déguisée en anthro-prologue, elle brandit une esthétique du mouvement du corps, constituée au cours d’une traversée des cultures premières et se termine en parangonnant l’araignée d’eau et ses entrelacs. Je me suis regardé lire les mots, écouter leurs résonances et je me suis souvenu du «teasing» de l’Introduction à la Panthère pour Pré-Danse : «Glissement de langue dans dans le projet membré». L’irruption de la sensualité a été éphémère, immédiatement réprimée et demeurée ensuite absente, suspendue à l’interdit absolu édicté par une pensée analytique et médicale. J’ai vu l’auteur, tel un impersonnage, tel une pensée pure totalement dédiée à penser le monde, j’ai vu l’auteur qui n’avait jamais dansé, qui ne pouvait pas danser.

Ce texte impersonnifié, sorte de vers-prose, rincé de tout soi qui, à chaque contour, héberge des feux grégeois d’expressions écrites, m’est offert. Je m’en saisit, le tors, le lit en tous sens, en désordre, je le décolle et recolle en quelque sorte.

M’étant un peu égaré, il me faut revenir à la promesse initiale, «l’introduction.à la Panthère», espèce de long hymne explicite à l’implicite. C’est la narration d’un long cache-cache dual avec un doux prédateur à deux visages, P(oésie) et P(anthère), que l’on n’aperçoit jamais complètement, « son contour sent le piège », et que l’on ne cesse de sentir «parfum d’eau intérieure ». Ce périple qui lit le bougé au bougeant, le consonné au consonnant, le formé au formant et mène en ses détours aux fumets de la P, c’est l’Opéra.

La musique est fille du peuple de l’autre clarté, les Descendants, que le lever du jour permet brièvement d’entrevoir. A-t-elle à voir avec les tintamarres originels de la forêts ? Si Bernie Krause parvient à tirer une musique de ce chaos sonore, cela veut-il forcément dire qu’elle était présente à l’origine ? Et puis, doit-on vraiment documenter, figurer la musique au moyen de la peinture ? Si les couleurs sont physiquement des ondes et permettent des nuances infinies – « Tout est dans la nuance » disait Verlaine – elles ne d’adressent pas au même sens, peut-être même pas au même cerveau. Et après la peinture, vient le docu-cinématographe ! « La musique est comme les paroles gelées ? On ne sait d’où elle vient ? Où elle est ?  » interroge l’auteur. Le mystère est-il si bien percé que l’auteur requiert la confirmation du lecteur ? « Il faut un sonnet bruleur pour chanter l’ampoule de vent rauque est croissant de nuit  ». Au final la poésie semble être la meilleure tentative de réponse pour l’auteur, où bien est-ce une réponse à ses seules questions ?

« Les deux commencement de langues touchent au mur dedans », cela se rapproche furieusement de la « frontière internée » du texte précédent. La tentative de réponse survient alors : « la musique viendrait de la langue maternelle  », la mère de toutes choses pour le poète, « le bâton est electrisé, il électrise la Panthère  ». Le rapport entre P. et M. commence à devenir explicite.

Est-ce Poésie que d’espérer trouver dans les origines, la cause du contemporain ?  En toute logique d’un autre temps, la cause précéderait la conséquence, alors qu’aujourd’hui on ne craint pas d’envisager le contraire. Au final, le retour aux sources s’avère impossible, rien ne sert de succomber à l’illusion des Mayombé, ou du premier crocodile de Chine. Impossible aussi est le mariage entre Musique, Gestes et Mots : « Deux corps étrangers font et défont le merveilleux  ». Mieux valent les mélologues entrecoupés de « bruits d’utopie », car la Musique esclave le poème, « elle mime un bruit d’utopie ou met le son à la place du feu ».

Alors que l’Opéradique s’avère impossible, P. Beck semble y croire encore.

Je contemple le poème et y cherche les vers. A part, quelques braises de batailles, rouges et brûlantes, c’est une pensée prose, peignée et brossée, qui souffle dans les brisées des lignes une haleine de marathonien à la recherche du message qu’il se doit de porter.

Avec Peinturage, le lecteur est entraîné dans une gallerie de peintres-Bovary happés par l’inconnu qui donnent à voir les impeignables, seuls dignes d’intérêt. Comme à la vitrine d’un joaillier, les noms Vinci, Vasari, Giotto,… se succèdent, charriant avec eux l’évocation de leurs Peinturages. P. Beck met aussi cap à l’extrême-orient, dans le quel, Anti-Bovary, il ne s’est manifestement pas perdu : « L’encre  […] tient la Pince qui fend le Chaos. ». C’est dans cette peinture qu’il pose la question de la ligne et du contour qui contiennent la couleur.

L’encre qui suit la ligne de bord dur fait écho à la Lyre dure de la Poésie qui contient, contourne avec fermeté les idées. Les couleurs et les idées tendent à effacter bords. La couleur pure est prose pure, sans lyre et sans ligne, la poésie est absente.

Pour P. Beck, « Oeil et Oreille paysagent ensemble ». Cela évoque en moi ces quelques mots de Rilke : « Une chouette venait de s’envoler […], elle avait lentement frôlé mon visage : et voilà que le contour de cette joue était venu s’inscrire, comme par miracle, dans mon ouïe aiguisée par des heures de silence nocturne. » (R.M. Rilke Lettres à une musicienne). On glane ailleurs (Rilke, Chant éloigné) : « se laisser tomber de la hauteur des mots dans l’unique et commune mélodie », comme « Il faut avoir oublié le multiple pour l’amour de l’essentiel. »

Partageraient-ils donc, un amour essentiel, un parfum de Panthère ?

Pourquoi devrait-on penser à la Divine Comédie en spectatant les mélologues d’Eksphrase ? Parce que dans les deux cas, on fait un tour complet. Bien qu’il n’y ait ni enfer ni paradis, juste une sorte d’histoire de l’art, pas exactement historique cependant, ekphrase fait toute une histoire de l’art, un trafic interart, plutôt, qui s’achève en une ré-opération. Lors P.B nous dit que l’ekphrase est une opéradique, c’est que toutes deux invitent à faire un tour de manège artistique.

Pas de prise de bec avec Beck, puisqu’il y croit encore… Et de nous, qu’en est-il ?

Références : Tiphaine Samoyault, Isabelle Baladine Howald, Stéphane Baquey, Flammarion

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