Texte orphelin d’un projet avorté :

« Les lettres de fer mâchurées de rouille plantent leurs jambes acérées dans les chairs vives et convulsées du bagnard. Cloué à terre, un flot de larmes incessant suit les sillons de son visage blanc, exsangue, dans les replis duquel on distingue deux lueurs bleues vacillantes.

Un monde de drames et de gaietés, sans cesse renouvelés, tourne autour de lui qui demeure immobile. Il en perçoit de loin en loin les bruits qui lui rappellent les épisodes de sa vie d’évadé. Par trois fois, il était parti, toutes blessures ouvertes, abandonnant nombre de lambeaux de peau. La joie de l’évasion éteignait toutes les douleurs. C’était cela, le principal obstacle, la douleur. Car tout autour de lui ondule le medium liquide, le fluide amniotique qui lui donne accès au monde. Il suffit d’y plonger.

Chaque fois qu’il l’avait fait, il avait cru renaître, tel un Phénix maritime, un albatros bariolé escortant un cirque migrateur. Son cœur et ses poumons étaient gonflés comme les voiles palpitantes d’un vent de l’ailleurs. Les fêtes, les veillées tonitruantes, les liqueurs enivrantes et sucrées des amours vrais, les satisfactions que donne l’effort de vivre, il était entraîné dans un tourbillon qui n’en finirait pas.

Oui mais l’éternité ! Alors l’abîme s’ouvrait sous lui, de l’intérieur de lui, comme un organe qui s’effaçait de temps à autre, puis réclamait à nouveau la sollicitude du corps pour alléger sa pesanteur infinie.

Quoi l’éternité ! Elle recouvrait toutes les vies de sa main implacable, chacune d’elles devenant futile et insignifiante. Il était habité par la frayeur du néant qui avait chassé tout autre sentiment de lui. L’idée même de la disparition lui était insupportable.

Alors docilement, résigné, il reprenait le chemin du retour vers sa douloureuse prison. Il s’étendait sur le sol, se laissant transpercer par les fers roux des lettres du mot honni et éternellement adulé, liberté. »

One thought on “Un projet avorté : Liberté

  1. « Cellule peinte sur la paroi de ma cellule »
    La cellule de moi même emplie d’étonnement
    La muraille peinte à la chaux de mon secret
    J’ouvre la porte avec ma main vide
    Un peu de sang blessé dans la paume

    (Pierre Jean Jouve)

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