J’ai visité l’exposition en cours qui avait pour thème « When things are beings », « Quand les choses sont des êtres ». D’ailleurs comment ne pas penser que les choses créés par les humains ne contiennent pas une partie d’eux-mêmes et donc, en quelque sorte, héritent de leur qualité d’êtres. Cela s’applique évidemment à l’art, mais à toutes sortes d’objets du quotidien qui, au delà d’un usage purement fonctionnel, sont chargés de signifiants symboliques pouvant aller jusqu’à la communication avec l’au-delà ou les esprits. Un objet, pour autant qu’il ait été fabriqué par un humain, ne peut être départie d’une dimension spirituelle. Et cela s’applique parfaitement aux artefacts techniques qu’ils soient matériels ou virtuels.
J’ai d’abord été impressionné par le travail d’Anke Sondi, Home404, qui explore les objets virtuels et montre que les metaverses en gestation vont contenir de nombreux êtres-objets. Le travail de El Anatsui est confondant, ce monumental tapis mural composé de capsules de bouteilles liées par des fils de cuivre embellit les déchets d’une consommation non exempte de vice. Les tapis de Marcos Kueh sont exceptionnels de profondeur, ils suivent et adaptent aux considérations actuelles, la voie des tapis persans qui dessinent une spiritualité de l’espace.
Les patchworks d’Antonio-José Guzman et Iva Jankovic affichent à l’extérieur la spiritualité de ceux qu’ils habillent, symboles, émotions mais aussi intentions s’y croisent. Les 3 installations d’Eric Giraudet de Boudemange, intitulées « mues », mettent en lumière ce qu’abandonnerait symboliquement un être humain actuel s’il devait muer. Les mélanges de matières à base de polymère, des fluides et des formes humaines, mobilisent notre empathie envers un être-objet que l’on aurait pu expulser.
L’image de Sigmar Polke de la cauchemardesque poubelle radioactive (Radioactive Waste) qu’on ne voit pas tout à fait flotte entre réalité et rêves comme faisant appel à ces derniers pour confondre une réalité grave qui n’en finit pas de nous échapper.
Cette statue de Jeff Koons est une d’abord une provocation juridique, car elle copie la photo de Barbara Campbell intitulée « Boys with Pig », en arrière plan, elle est aussi la critique d’une Amérique puritaine, catholique et anti-musulmane lorsqu’il renomme l’image « Ushering in banality » (Circuler en toute banalité), moquant le remplacement, en toute banalité, de l’âne traditionnel par un cochon.
L’oeuvre de Tetsumi Kudo est une figuration du mix du cerveau organique et du cerveau électronique, c’est une image saisissante du tranhumanisme qui vise à faire disparaître les corps. Il ne reste qu’un esprit froid, dont la couleur verte accentue l’absence d’émotions, est-il encore humain ?
Quelques pas en arrière, avec cette oeuvre étonnante de Mary Baumeister qui veut donner corps et matérialité à la spiritualité de la musique de Karl-Heinz Stockhausen. La juxtaposition des deux œuvres d’Yves Klein, la première « Résonance » qui concentre les échos visuels de la pièce d’exposition et la seconde « L’accord bleu » qui semble un monde autonome isolé du reste par la couleur bleu, se font des appels et se répondent en creux et déliés.
La visite se termine sur l’oeuvre monumentale d’Anne Imhof qui confronte les fondements culturels de notre civilisation, la mythologie grecque, le romantisme, le nihilisme, à notre monde contemporain post industriel, elle juxtapose la beauté de la vie, le cheval, la neige, aux matières inertes, le caoutchouc des pneus, l’acier. Elle développe l’idée de l’enfermement, elle figure une humanité qui, tournant le dos à la vie, a construit une prison formidable et qui, pour répondre à l’aspiration individualiste de chacun, l’a verrouillé dans une solitude absolue.
J’ai sauté volontairement les oeuvres contemporaines qui nécessitent un mode d’emploi, qui, sans cela, ne portent pas, en elles, l’énergie de l’émotion artistique. Je crois que c’est un défaut fréquent de certains artistes contemporains dont les oeuvres, sans mots, ne peuvent fonctionner. Pour ma part, je les considère comme des illustrations qui auraient avantage à être dans un livre.
Cette proposition de réflexion sur la spiritualité des objets va très loin, car, non seulement, elle nous fait réfléchir sur les rapports ambivalents que nous entretenons avec les objets et notamment les objets-outils, mais aussi, sur les effets retour que ces êtres-objets ont sur nous.