Par invitation, Jean Majeur

La fleur de lune est aussi le lys de la paix. Justement, Fairfax est une petite ville paisible de l’Oklahoma, cossue, située en plein territoire indien, la réserve des Osages. Comme les autres réserves, elle est pauvrement fournie par les fonctionnaires des affaires indiennes, jusqu’au jour du Miracle, on y découvre du pétrole. Concédé à des compagnies américaines, le gouvernement en reverse les dividendes aux Osages qui deviennent rentiers. Si l’argent attire d’innombrables vautours, il transforme aussi ceux qui faisaient fonctionner la réserve : commerçants, fonctionnaires, élus. Ce mélange de cupidité et d’avidité utilise tous les stratagèmes imaginables, corruption, abus de confiance, mariage à visée d’héritage, meurtre. En cinq an, la ville compte une soixantaine de meurtres, essentiellement dans la communauté Osage.

Martin Scorsese décrit en profondeur une société, occupée à coopérer dans le mal tout en affichant une façade affable et urbaine. Il dissèque patiemment, au scalpel balzacien, le fonctionnement de cette société, au moyen de deux sinistres personnages William K Hale et son neveu Ernest Burkhart qui vont être les guides de la main du chirurgien. Magistralement interprétés par Robert de Niro et Leonardo di Caprio qui se donnent la réplique jusqu’à la fin du film, Martin Scorsese nous fait pénétrer dans les plus sombres abysses de l’âme humaine. Si Robert de Niro est magistral, Leonardo di Caprio jour le rôle de sa carrière d’acteur. Sans doute, il obtiendra les plus prestigieuses récompenses de la profession.

Guidé par Martin Scorsese, le spectateur ne peut pas ne pas penser aux systèmes mafieux. Des notables installés, fréquentant assidûment l’église, mus par l’appât du gain et la cupidité, se transforment en criminels pervers et sanglants. Alors qu’ils rappellent sans cesse l’amitié, tissée pendant de longues années de cohabitation avec les Osages, à la réserve, ils trament des complots pour les assassiner. Alors qu’ils épousent les femmes Osages, endossant le rôle de mari aimant et protecteur, ils les empoisonnent pour hériter de leurs droits à percevoir les dividendes. La collaboration est implicite, il n’y a pas de chef désigné, même si certains, comme William K Hale, emploient des hors-la-loi. C’est le propre de l’hydre qui peut ainsi renaître.

Cependant, Martin Scorsese nous emmène plus loin, dans la réflexion sur les sociétés contemporaines. Notamment, ils nous fait toucher du doigt la propension des pays dont l’économie est essentiellement basée sur des ressources minières, à générer ce type de système et leur difficulté à y résister. On le constate partout dans le monde, et même, dans certaines régions de pays, dits industrialisés.

Sur le plan artistique, la facture de Martin Scorsese est techniquement parfaite, les montages, les images, le jeu des personnages. Certains diront que c’est un peu long, s’agissant d’une dissection, il faut prendre le temps. Le même reproche pourrait être fait à Balzac, au détriment du critique. C’est assurément, dès sa sortie, un grand classique du cinéma qui pêche justement par cela. Un manque d’originalité, de modernité. Alors que le cinéma actuel vise à ce que le spectateur vive une expérience qui remue ses tripes avant son esprit, Martin Scorsese demeure dans le classicisme de la description. Il n’innove pas, raison pour laquelle, dans 20 ans, on aura oublié ce film.

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